Jésus pour le XXIème siècle
de John Shelby Spong (Karthala) 2013
L'auteur de cet ouvrage est un ancien évêque anglican
des USA. Il livre là son long cheminement de chrétien qui a
décapé ses croyances héritées pour rendre crédible
en notre temps Jésus de Nazareth. Son but est de présenter un
Jésus croyable par les femmes et les hommes du 21ème siècle
qui vivent dans la modernité. Il récuse en effet le Jésus
qui est enseigné officiellement par les Eglises chrétiennes
et qui relève d'une doctrine dogmatique et moralisante. Celle-ci non
seulement n'a pas grand-chose à voir avec ce que fut réellement
Jésus de Nazareth mais donne de Dieu, de Jésus, de l'homme et
du monde des représentations infantilisantes. Cette doctrine s'est
fondée sur la lecture fondamentaliste des écrits évangéliques.
Comment donc retrouver le Jésus historique, sa parole et ses actes
libérateurs, à travers les récits évangéliques
?
Pour atteindre son but, l'auteur poursuit trois objectifs qui correspondent
aux trois parties de son livre.
1°Redonner corps à l'homme Jésus
Il s'agit d'abord, grâce un travail exégétique sérieux sur les textes des évangiles, de faire apparaître la figure du Jésus historique sous les langages, les représentations, les figures de style, les codes littéraires employés par les auteurs (qui ne sont plus les nôtres). Si le message central des disciples dans les évangiles est : « Celui qui a été crucifié comme un hérétique et un être maudit de Dieu, nous professons qu'il est le visage de Dieu parmi nous », on en a fait rapidement une lecture profondément erronée en prenant au pied de la lettre les mises en scènes symboliques, les références à l'Ancien Testament considérées comme l'annonce précise des faits et gestes de Jésus, les interventions spectaculaires du ciel, les actes de puissance de Jésus. On a transformé Jésus de Nazareth en un extra-terrestre, auréolé de titres tous plus glorieux les uns que les autres, né hors normes, extralucide, réalisant de soi-disant prophéties, muni de pouvoirs extraordinaires sur la nature et la santé, condamné à mort pour expier à leur place les péchés des hommes et remontant vivant vers Dieu une fois la mission accomplie.
Pour un homme de la modernité, impossible d'adhérer à
cette présentation mythique. Quand on décode les textes (ce
qu'on sait faire après deux siècles d'intense recherche exégétique),
la vérité historique se manifeste. Jésus est né
comme chacun de nous d'un père et d'une mère à Nazareth
et non à Bethléem, on ne sait rien de son histoire jusqu'au
moment où on le retrouve aux côtés de Jean Baptiste, dont
il se sépare pour fonder son groupe. Il sillonne les routes de Galilée
entouré de disciples hommes et femmes, il prêche le royaume -l'avènement
du monde nouveau- d'une manière originale : il conteste le légalisme
et le ritualisme de sa propre religion et en transgresse les lois quand elles
déshumanisent, rejettent, marginalisent, excluent les hommes et les
femmes. Les récits de miracles et de résurrection, si spectaculaires,
sont en réalité une façon après coup pour les
évangélistes de magnifier l'œuvre humanisante de Jésus,
véritable visage de son Dieu. De la même façon les récits
de la passion de Jésus ont réécrit les faits en les imprégnant
de références bibliques. Pareillement, ceux qui racontent les
apparitions du ressuscité se servent d'images concrètes non
pour décrire une réalité historique mais pour professer
la conviction des disciples qu'au-delà de la mort le Jésus qu'ils
ont connu demeure vivant, promis à une fécondité universelle.
2°Etudier les portraits qu'on a fait de
Jésus
Dans une seconde partie, l'auteur passe en revue les différents portraits de Jésus qu'on trouve dans les évangiles, par lesquels les disciples se sont efforcés de donner sens à l'aventure de Jésus qui semblait s'achever sur un échec retentissant.
Il montre d'abord comment la relecture de l'événement Jésus
s'est faite au cours des offices dans les synagogues auxquelles ont participé
les disciples de Jésus jusqu' à leur mise à la porte
du judaïsme vers 70 de notre ère.
Puis notre auteur énumère les différents titres donnés
à Jésus par les disciples pour le rendre crédible après
sa mort au sein de son peuple : nouvelle Pâque, agneau de Dieu ( celui
de la Pâque et aussi celui immolé lors de la fête juive
du Yom Kippour, fête de l'expiation des péchés), Fils
de l'homme, appellation tiré du livre Daniel, figure céleste
et lieutenant de Dieu pour faire advenir son règne, Serviteur souffrant,
en lien avec les textes du second Isaïe, Roi berger, emprunté
au prophète Zacharie. De tous ces titres, notre auteur décrit
l'origine biblique et les raisons pour lesquelles on les a appliqués
à Jésus. Ce fut un remarquable travail créatif pour manifester
que Jésus de Nazareth dans sa manière de vivre, dans ses paroles
et ses actes, était, contrairement aux apparences l'accomplissement
de la tradition juive la plus authentique.
Le malheur c'est qu'on a élaboré très vite une doctrine
à partir de ces titres détachés de ce que fut l'expérience
du Jésus historique. On les a absolutisés en les prenant comme
des en-soi et en en déduisant toutes sortes de conséquences
néfastes, sans rapport avec le message et la pratique de libération
de Jésus. Jésus victime expiatoire pour nos péchés,
agneau de Dieu qui enlève les péchés du monde, Fils de
l'homme divinisé, juge de l'humanité au dernier jour, Jésus
qui rachète l'humanité par ses souffrances, Jésus le
Christ-Roi qui règne sur les nations, Jésus le berger et nous
les moutons...Ces représentations renvoient ainsi à des images
de Dieu et de l'homme qui sont nocives. Malgré des ravalements actuels
de représentations, le vieux fonds demeure en bien des consciences
et des enseignements.
3° La vie de Jésus revisitée
Après ce déblayage salutaire, notre auteur en vient à ce qui est pour lui le cœur des évangiles, sous les habillages littéraires et scripturaires dont les évangélistes ont fait usage pour accréditer la figure de Jésus, témoin et visage véritable de Dieu.
Il rappelle d'abord l'historicité de Jésus (contesté
dans le passé et maintenant encore) : Jésus a réellement
vécu, il est né à Nazareth, a été disciple
de Jean-Baptiste, a été condamné à mort et exécuté
sous Ponce Pilate (éléments qui n'ont pu s'inventer, du fait
qu'ils n'étaient pas de soi glorieux pour Jésus).
Puis il s'interroge sur le Dieu de Jésus qui transparaît dans
les évangiles. Ce n'est pas le Dieu « théiste »,
tout-puissant, créateur des mondes infinis, dirigeant souverainement
l'histoire et les vies humaines, protecteur et surveillant à la fois,
inventé par les humains pour se rassurer : face à leurs angoisses
existentielles de se prendre en charge dans un monde énigmatique et
éprouvant, la référence à cet être supérieur
n'était-elle pas pour eux garante de stabilité personnelle et
sociale ?
Ce Dieu-là a hélas infesté la doctrine chrétienne officielle et en conséquence la personne de Jésus comme on l'a vu plus haut.
Or, quand on lit réellement les évangiles, le Jésus dont
témoignent les premiers chrétiens n'a rien à voir avec
une victime expiatoire ou un être divin parachuté sur terre.
Ce Jésus est un homme qui en son temps a lutté de toutes ses
forces contre la haine religieuse qui s'alimentait chez les responsables juifs
de son temps dans leur prétention à posséder la Vérité.
Contre l'intolérance dont ils faisaient preuve vis à vis des
déviants, les samaritains, par, ou les non-juifs. Jésus a combattu
ainsi toutes les frontières tribales érigées en son peuple
pour se protéger d'une soi-disant contamination : frontières
entre les réputés purs et impurs, juifs et non-juifs. Il a également
contesté radicalement les préjugés et les stéréotypes
concernant les malades, les femmes, les enfants, les samaritains, la loi,
le Temple...Il est même allé jusqu'à remettre en question
la supériorité du judaïsme par rapport aux autres religions,
au point de relativiser tout système religieux au profit de la droiture
du cœur « religion en esprit et vérité » et
de l'amour effectif que l'on porte à son prochain , notamment le plus
démuni.
C'est donc sur des enjeux profondément humains (la libération
de l'homme de tout ce qui l'entrave physiquement, psychologiquement, spirituellement,
religieusement, socialement, économiquement...) que Jésus de
Nazareth a engagé son existence à ses risques et périls.
Le Dieu dont il témoigne dans son engagement est un Dieu dont on ne
peut faire l'expérience que dans l'humain. C'est ce Dieu là
qu'il annonce, un Dieu qui n'est pas religieux. Jésus a payé
de sa vie le combat qu'il a mené « pour que les hommes aient
la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jean 10, 10). La croix, comme
acte final pour Jésus de son chemin, révèle avec intensité,
pour qui sait voir, le vrai visage de Dieu. « La croix, portrait humain
de l'amour de Dieu », dit John Spong.
Conclusion
« Jésus pour le 21ème siècle » est donc un livre salutaire pour les chrétiens de notre temps qui, comme son auteur, sont attirés par la personne de Jésus mais qui ont des exigences critiques vis à vis des sources évangéliques qui en témoignent et vis à vis de la doctrine officielle des Eglises qui a transformé en dogmes et en préceptes moraux la parole vive et la pratique libérante du nazaréen. Si tant de chrétiens désertent les Eglises, n'est-ce pas parce que les propositions de ces dernières sur Jésus et son Dieu ne répondent pas à leur attente intérieure ? L'ouvrage sera aussi utile à ceux qui ne sont pas chrétiens, croyants autrement, athées ou agnostiques. Il donnera du relief au Jésus historique, initiateur de vie, au-delà des images d'Epinal qu'ils repoussent à bon droit.
Jacques Musset
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Note de l'auteur du site ARCIEL88...
Je ne suis pas un loup solitaire. J'admets le partage dans le cadre d'une
communauté ou d'une structure...
Mais le risque demeure que ces institutions deviennent une fin au lieu d'être
un service, un moyen, un support,un accompagnement.
Les Religions et les Eglises de pouvoirs ont tendance à s'emparer d'un
personnage hord-norme et de son message jusqu'à le falsifier,
sous le prétexte, souvent fallatieux, d'en faire une cohérence
(trompeuse) destinée à augmenter le nombre des fidèles
ou des adeptes. - Pierfetz